Une Explosion Inquiétante des Arrêts de Travail en France : L’État et les Entreprises Face au Mal-Être au Travail

Le 9 avril 2025, une étude du groupe Diot-Siaci a confirmé ce que beaucoup pressentaient : les arrêts de travail explosent. Plus longs, plus fréquents, plus coûteux.

Les arrêts de travail s’allongent : un symptôme d’un mal profond du monde du travail

En 2024, les arrêts de travail ont atteint une durée moyenne de 21,5 jours, soit trois jours de plus qu’en 2022. C’est un record depuis la crise sanitaire. Cette inflation du temps d’absence, confirmée par les données recueillies sur plus d’un million de salariés entre 2019 et 2024, s’accompagne d’une montée inquiétante des arrêts longue durée (plus de 90 jours), qui représentent désormais plus de 50 % des absences.

Selon Sabeiha Bouchakour, directrice conseil chez Diot-Siaci, ‘on constate une hausse de l’absentéisme en entreprise depuis plusieurs années. Globalement, les salariés qui arrivent en entreprise sont majoritairement investis, mais leur motivation est plus volatile, elle ne résiste pas notamment au manque de reconnaissance et au sentiment d’iniquité.’

À cela s’ajoute la sinistralité croissante pointée par la DREES et la CNAM dans leur étude conjointe du 13 décembre 2024. La croissance des arrêts maladie atteint 3,9 % par an entre 2019 et 2023, bien au-delà des 2,3 % observés entre 2010 et 2019. Une envolée inquiétante qui ne relève plus de l’exception mais de la nouvelle norme.

Catégories touchées : les femmes, les jeunes

Le profil type du salarié arrêté change. D’un côté, les jeunes en CDI de moins de 35 ans sont sur-représentés dans les arrêts courts et répétés. De l’autre, les plus de 50 ans, dont les arrêts durent plus longtemps et coûtent plus cher du fait de leur salaire plus élevé.

Mais c’est surtout sur les différences hommes-femmes que les arrêts de travail marquent un clivage : en 2024, les femmes présentent un taux d’absentéisme supérieur à celui des hommes. La fracture est aussi sociale. Intérimaires, saisonniers, salariés à temps partiel ou employés de particuliers sont les grands oubliés du système. Leur précarité limite l’accès à une couverture complémentaire, rendant chaque arrêt synonyme d’effondrement économique.

Fatigue, dépression, fraude : les nouvelles dynamiques de l’arrêt de travail

La première cause d’arrêt reste la maladie ordinaire (grippe, bronchite, gastro), évoquée par 54 % des salariés. Mais une autre pathologie, insidieuse et moins mesurable, fait une percée spectaculaire : la fatigue, mentionnée par 37 % des salariés, et même 48 % chez les moins de 25 ans. Elle traduit une mutation du rapport au travail.

Le télétravail, lui, se présente comme un amortisseur partiel : 67 % des salariés en travail à distance déclarent avoir évité un arrêt maladie grâce à ce dispositif. Une statistique séduisante, mais qui cache des disparités criantes : seuls les cols blancs en bénéficient réellement.

Et puis, il y a le talon d’Achille du système : la fraude. En 2024, 42 millions d’euros de préjudice pour l’Assurance maladie, contre 17 millions un an plus tôt. Face à cette hémorragie, la CNAM passe à l’offensive : dès juin 2025, seuls les certificats Cerfa sécurisés et numérisés seront acceptés. ‘La photocopie de l’arrêt de travail, ça sera impossible. Nous refuserons tout document dont nous ne pouvons pas vérifier la qualité.’ a prévenu Thomas Fatôme, directeur général de la CNAM, sur RMC.

La contre-offensive de l’État : plafonnement, IA, et surveillance accrue

Sous pression budgétaire, l’État resserre la vis. La loi de financement de la Sécurité sociale pour 2025 a notamment abaissé le plafond du revenu pris en compte pour les indemnités journalières, de 1,8 à 1,4 fois le SMIC. Objectif : contenir les dépenses.

Mais ce n’est pas tout. Le contrôle des prescriptions sera renforcé, les médecins accompagnés pour limiter les arrêts jugés non justifiés, et l’intelligence artificielle mobilisée pour repérer les schémas frauduleux. Une numérisation qui culminera avec le déploiement de la Carte Vitale numérique sur smartphone, attendue comme le rempart technologique de la CNAM.

Les coûts explosent, les dispositifs craquent, et les entreprises s’adaptent

Les employeurs, eux aussi, trinquent. Obligés de maintenir les salaires en fonction de l’ancienneté du salarié, ils voient les charges de prévoyance exploser. Les assureurs parlent déjà de révisions tarifaires imminentes, et certaines PME redoutent une fragilisation durable de leur équilibre financier.

Et comme toujours en France, les réponses arrivent souvent trop tard, ou trop peu. Des expérimentations pilotées par l’Assurance maladie depuis 2018 n’ont que partiellement abouti. Loin d’un simple indicateur social, l’arrêt de travail est devenu un révélateur implacable de la fatigue structurelle du marché du travail français. À la confluence des enjeux sanitaires, sociaux, économiques et technologiques, il appelle une refondation du pacte professionnel. Une tâche herculéenne pour une institution déjà sous tension.

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